Italie


Carte de Visite non signée
Officiers des Ussari di Piacenza en petite tenue c.1863-64.


Cette magnifique photo nous amène dans les années troubles de l'histoire de l'Italie du Risorgimento.
Suite à la victoire de Gaeta at l'absorption du Royaume des Deux-Siciles dans une Italie dominée par les Piémontais, un mouvement de lutte se mit en place dans le Sud de l'Italie - une résistance qui sera appelée "Brigantaggio".

Le régiment des Hussards de Plaisance prendra part à cette lutte en 1863 et 1864.

Le Capitaine Michel se souvient de cette époque avec une nostalgie lyrique :
("Les Vertus Militaires", in "Revue Militaire Belge", 1881)

"C'était une vie de grande abnégation ! sans toit, sans lit; continuellement par bois, montagnes et précipices ; tantôt sous un soleil cuisant, tantôt sous un déluge de pluie et assez souvent sans vivres, le soldat italien montra dans ces circonstances des vertus militaires si exceptionnelles, que ceux-là seuls les ont en partage qui possèdent une grandeur d'âme peu commune et un puissant amour de leur pays. Jamais il ne diminua la spontanéité du sacrifice, par une plainte ou une récrimination.
Il est opportun de rappeler ici le patriotisme que les officiers de hussards de Plaisance montrèrent à cette époque. Quand vint leur tour de participer à la répression du brigandage, on put croire que ces brillants officiers, tous riches et nobles et habitués à la meilleure société de nos plus belles garnisons, supporteraient difficilement cette vie pleine d'ennuis et dépourvue de gloire. Déjà on répétait que plusieurs avaient quitté le service. Il n'en fut pas ainsi ; ils déployèrent tant de bonne volonté, tant de constance et de courage, dans cette rude guerre, que leur nom resta attaché à la destruction, du brigandage ; ils montrèrent qu'ils n'étaient pas seulement des officiers de salon, mais qu'ils avaient la même aptitude que d'autres aux services les plus fatigants, aux souffrances et aux sacrifices les plus pénibles."

Cette belle photographie nous montre ces officiers en petite tenue - spencer vert à tresses de poil de chèvre noir pour d'eux d'entre eux, veste pour l'autre, les deux vêtements arborant des galons or en fer de lance.
On peut voir les deux faces de leur coiffure, le "beretto di fatica", à bandeau vert et turban rouge, qui porte à l'avant le monograme couronné du Roi Victor-Emmanuel.


Luogotenente Brandolini Conte Annibale.

Le Comte Annibale Brandolini est né le 29 Septembre 1829 à Cordignano - il est le fils du Conte Girolamo (qui décèdera en 1871) et de la Contessa Vendriama Berlenda Grimani. Sa famille, originaire de Venise, possède également le château de Valmarina.

Il figure à l'Annuaire du régiment de 1861 au grade de Luogotenente, avec ancienneté au 7 Novembre 1860.
Il avait participé à la Campagne de 1859.

L' "Annuario dell'Italia Militare" de 1864 relate les faits de 1863 où il se distingue :
"Le Major Demaria ordonna le 17 Juin au lieutenant Brandolini du 6e escadron de hussards d’établir son peloton à Grotticelle (district militaire d'Avellino - Nota : à 60 km à l'Est de Naples) et de se tenir à l'affût. Une vedette ayant signalé la présence d'un groupe, le lieutenant Nardini parti avec 4 hussards les reconnaître ; ceux-ci ayant été accueillis à coups de pistolet, Brandolini fit mettre en selle les hussards et piqua instantanément dans cette direction. Les briganti étaient huit, menées par Cicariello ; ils se jetèrent de cheval, espérant qu’il serait plus facile de s’échapper à pied sur ce terrain escarpé. Trois d’entre eux furent pourtant rattrapés ; l’un fut abattu par les hussards à coups de sabre, un autre, blessé par un coup de pistolet, sorti un grand couteau, se trancha lui-même la gorge, et tomba mort. Finalement, Cicariello, acculé sur un rocher escarpé sans issue, se livra a une défense désespérée. Brandolini dû sauter de cheval quand celui-ci lui fit défaut ; accueilli à coups de fusil par le brigante sans toutefois être touché, il se releva brusquement et se jetta sur lui, le blessant mortellement d’un seul coup de pointe."

Le Giornale Militare "Il soldato Italiano" du 29 Octobre 1863 nous donne la liste des Ussari di Piacenza qui sont distingués.

Ce sont huit médailles d'Argent "Al Valore Militare" qui sont attribuées au régiment, dont une au à "Brandolini conte annibale, luogot.", ainsi que cinq "Menzione Onorevole al Valore Militare", dont une à "Nardini Achille, luogoten." cité ci-dessus, et une à "Cingia Augusto, sott.".

Annibale conte Brandolini prendra part à la Campagne de 1866 contre l'Autriche.
Il est apparement promu Capitano au régiment en 1867.

Le 6 Mai 1868, on le retrouve parmi les nombreux officiers des Ussari di Piacenza qui participent au quadrille organisé à Florence pour fêter le mariage du Principe Umberto di Savoia avec la Prinsipessa Margherita.
Richement vêtus de costumes de la seconde moitié du XVe siècle, quatres villes sont représentées (Naples, Milan, Florence et Turin ; le Colonel Mario, commandant les Ussari di Piacenza, étant Capo Quadriglia pour Milan).

Brandolini épousera le 28 Décembre 1868 Leopolda d'Adda, "dama di palazzo di S.M. la Regina".
Ils auront trois enfants : Girolamo, né en 1870, Margherita, née en 1873, et Brandolino, né le 22 Juin 1878.

Il quittera le service début 1871 :
La Gazzetta Ufficiale del Regno d'Italia Num.67 (Firenze, Mercoledi 8 Marzo 1871) annonce, suivant RR.Decreti du 31 gennaio 1871 :
"Brandolini Conte Annibale, capitano dell'arma di cavalleria in aspettativa, dispensato dal servizio colla facolta di far uso dell'uniforme del reggimento ussari di Piacenza e dei distintivi d'ufficiale d'ordinanza di S.M.".
Par decreto du 1er décembre 1872, il est nommé Sindaco (maire) de Cison di Valmarino pour les années 1873 à 1875.
Brandolini figure encore à l' "Annuario militare del Regno d'Italia" de 1884 comme Capitaine de Cavalerie "ayant quitté le service, conservant l'usage de l'uniforme et la distinctive spéciale d'officier d'ordonnance honoraire de S.M. feu le Roi Victor Emmanuel II."

L' "Annuario della Nobilta Italiana" de 1889 nous indique de plus qu'il était "cittadino nobile della citta di Piacenza". Vice-Président de la Croix-Rouge Italienne, il deviendra sénateur le 17 Novembre 1898.
Il décèdera le 23 Décembre 1901 à Cordignano.


Sottotenente Cingia Augusto.

La Gazzetta Ufficiale del Regno d'Italia Num.89 (Torino, Lunedi 14 Aprile 1862) annonce, suivant RR.Decreti du 23 Marzo 1862 :
"Cingia Augusto, sergente nei Cavalleggieri di Saluzzo, promosso sottotenente negli Ussari di Piacenza".

Il prendra part avec son régiment à la lutte contre le Brigantaggio - on le retrouve sous une grande plume, celle d'Alexandre Dumas, dans le journal que celui-ci dirige alors, "L'Independente" (édition du 18 Mai 1863) :

"Napoli, 17 Maggio 1863
I BRIGANTI
Une correspondance qui, je l'affirme, ne peut contenir que l'exacte vérité, nous donne les informations suivantes sur le dernier affrontement qui a eu lieu entre les Briganti et un détachement de soldats à la ferme Vitamore (Principato ulteriore).
Le 6 mai, le général Franzini, dont les Briganti ont pu apprécier l'activité, le courage et le génie militaire propre à cette guerre, dans laquelle il est devenu la terreur de l'ennemi, est parti d'Avellino pour se porter sur Ofanto, où les Briganti avaient leur quartier général, qui n'avait pas jusque là pu être débusqué. Depuis longtemps maintenant, les bandes de Caruso et de Schiavone campaient dans la forêt de Lionessa à Ofanto, près d'Ascoli. Aucune expédition partielle ou même générale n'avait réussi à les retrouver.

Arrivé le 7 mai avec ses hussards à Candela, soit en dehors du territoire qui lui était attribué et qui se termine à Rocchetta, le général Franzini ordonna un mouvement général des troupes d'Ascoli et de Melfi, qui, bien que n'étant pas sous son commandement, se hâtèrent d'obéir, et, comme on le verra plus loin, l'appuyèrent fermement. Le 8, il parcourut les deux rives de l'Ofanto de Camerelle à Ponto-Santo-Venere, mais les Briganti, se rendant compte que cette fois c'était sérieux, s'étaient retirés devant les troupes italiennes et avaient traversé la rivière à Serrone, entre Ponte-Santo-Venere et Monte-Verde. Là, le général Franzini avait disposé 5 compagnies de ses grenadiers pour les attendre ; mais, malheureusement, ils ne traversèrent pas là où les soldats étaient cachés. Les soldats purent les voir de loin et les compter, ils étaient 54. Ils pénétrèrent les bois de Sant'Agata, où la 3e Compagnie du 22e Bersaglieri les attaqua avec l'entrain habituel de ces braves patriotes et les dispersait, leur tuant deux chevaux. Les morts et les blessés, s'il y en eut, furent enlevés par les Briganti, qui retournèrent pendant la nuit dans les bois de Castiglione sur l'Ofanto.

Le 10, la même bande de Schiavone se réunit avec celles de Coppa, de Sacchetiello, d'Andreottolo, de Pie et de Marciano, formant une masse de 110 Briganti. Dissimulant leur nombre, ils se rendirent à la ferme Vitamore entre les monts Toffiello et Calitri pour attendre le général Franzini, ayant déjà appris de leurs espions que le général n'avait avec lui que ses 45 hussards: ils ignoraient que le Major Brero était arrivé juste à temps à Calitri avec une compagnie à pied et 42 hussards commandés par le capitaine Carelli. Celui-ci, averti de la position des brigands, mais en ignorant que leur nombre avait presque triplé, se mit à la tête de ses hussards et se porta vers la pointe de l'ennemi, lançant dans le même temps la compagnie à pied pour les contourner. Les Briganti, voyant le petit nombre de hussards qui venaient à eux, se tenaient à cheval, dissimulés derrière un bâtiment, prêts à faire feu. Le major, à 200 pas de distance, vit la tête de leur colonne et ordonna la charge. Le capitaine Carelli, avançant de flanc sur la partie arrière du bâtiment, chevauchait à la tête des siens sous le feu que les Briganti tiraient presqu'à bout portant, à découvert, jusqu'à ce que tous ses cavaliers furent au contact des Briganti. C'est alors seulement que les hussards s'aperçurent qu'ils avaient à combattre une force trois fois supérieure à la leur. Cette manœuvre avait fait perdre quelques hommes au Major ; mais, face à face avec l'ennemi, il était libre de ses mouvements.
Il en profite pour commander la charge. Les 42 hussards, - je me trompe, 5 étaient déjà morts sans pouvoir riposter, - Les 37 hussards se précipitèrent sur les Briganti et, à un contre trois, commencèrent un terrible combat, dans laquelle le zèle, le patriotisme compensaient l'infériorité numérique. Le Major Brero, le mieux monté de ses compagnons, enfonça ses éperons dans les flancs de son cheval, se porta en trois sauts au milieu de la bande, en criant:" Hourra! ". Mais, les bandits n'osant pas approcher et lui tirant dessus de loin, il répondit à cet horrible feu, déchargeant les six coups de son revolver, puis, empoignant son sabre, il se jeta tête baissée sur les plus proches d'entre eux, luttant un instant seul contre ces 100 hommes, mais fut bientôt rejoint par les siens. À ce moment, le capitaine Carelli, qui suivait de près le major, roula dans la poussière avec son cheval. Heureusement, seul le cheval était blessé, mais avant d'atteindre leur plus brave Major, un hussard et deux sous-officiers étaient déjà morts, et cinq autres hussards blessés.
Le lieutenant Cingia reçut à ce moment une blessure à la tête. Le capitaine Carelli se releva, mais, comme il avait été désarçonné, il se trouvait presqu'encerclé. Il fit un effort et se dégagea. Puis le Major, voyant sa troupe diminuée d'un quart, fit sonner au ralliement et fit retraite sur le col. De leur côté, les Briganti revinrent à la ferme, apportant avec eux leurs blessés, dont une femme qui mourut le lendemain matin. Alors apparut la compagnie des grenadiers qui donna la chargea au cri de "Vive le roi! " ; mais à la vue de ces renforts, les Briganti se dispersèrent un peu partout. On ne retrouva que 3 des Briganti morts, mais d'autres cadavres ont été cachés ou enlevés ; les blessés sont nombreux; un escadron entiers des fugitifs a du passer sous le feu d'une compagnie d'infanterie.

Les pertes des hussards sont grandes, mais les héros qui composent l'armée italienne ont montré encore une fois qu'ils ne comptent pas les ennemis, et que, à un contre trois, ils n'hésitent pas à les attaquer. Gloire et honneur, aux morts comme aux survivants!
Ce qui a manqué, comme toujours, était des informations exactes, et le concours de la population. Les voleurs savaient exactement le nombre de patriotes, mais les patriotes, en attaquant les Briganti, croyaient avoir à lutter à forces égales. Cette erreur a mis en lumière le courage des soldats italiens, mais elle a coûté à l'armée une dizaine de braves. La leçon a toutefois été assez sévère pour les Briganti, c'est pourquoi ils ne se réuniront pas de sitôt ; parce que si leurs pertes n'ont été très considérables, l'effet moral fut très grand.

L'honorable correspondant qui nous donne ces nouvelles croit que les troupes engagées dans la lutte contre les Briganti doivent être composées de cavalerie légère et bersaglieri ; les cavaliers devraient être armés, partie de fusils, comme nos dragons, et partie de lances.
Nous serions heureux et honorés de rajouter le nom de notre correspondant à l'intéressante relation qu'il nous a soumise, mais nous craignons d'être indiscrets ; nous y substituerons le nôtre, et le ferons précéder par les remerciements les plus chaleureux.
Aless. DUMAS."
("trahi" de l'Italien)

Le Giornale Militare "Il soldato Italiano" du 29 Octobre 1863 nous donne une liste de Ussari di Piacenza qui sont distingués pourla lutte contre le Brigantaggio cette année là.
Huit médailles d'Argent "Al Valore Militare" qui sont attribuées au régiment, dont une au à "Brandolini conte annibale, luogot." que l'on voit ci-dessus, une à "Carelli di Rocastello cav. Giulio Cesare, capit.", cité par Dulmas, ainsi que cinq "Menzione Onorevole al Valore Militare", dont une à "Nardini Achille, luogoten." cité ci-dessus, et une à "Cingia Augusto, sott.".

Début 1866, plusieurs officiers du régiment sont mis en disponibilité suite à la réduction des cadres.
Augusto Cingia est placé "in aspettativa per riduzione di corpo" par décret du 8 Février.

En Juin suivant, la Prusse déclarera la guerre à l'Autriche. Le 20 du mois, les Italiens entrent en Vénitie.
La guerre ne sera pas de longue durée - si les Italiens sont défaits à Custozza le 24 Juin, le "coup de tonnerre" de Sadowa (Königgrätz) du 3 Juillet scellera le destin de l'Autriche - permettant aux Italiens de reprendre l'offensive.

Cingia aura été rappelé à l'activité et sera promu luogotenente nell'arma di cavalleria par décret du 14 Août 1866, quelques jours après l'armistice du 10 Août.

Il sera encore replacé en disponibilité. La guerre Franco-Prussienne de 1870 offrira l'occasion à l'Italie de se saisir de Rome et des états du Pape, dont les troupes françaises ont été retirées.
A cette occasion encore, il sera rappelé à l'activité de service ("richiamato in attivita di servizio nell'arma di cavalleria"), par décret du 15 Septembre 1870.


Sottotenente Anat Hagy Arturo.

La Gazzetta Ufficiale del Regno d'Italia Num.163 (Torino, Sabato 11 Luglio 1863) annonce, suivant R.Decreti du 24 giugno 1863 :
"Anat-Hagy Arturo Carlo, allievo del corso suppletivo alla R.Militare Accademia, promosso sottotenente negli Ussari di Piacenza".

Ce cours supplémentaire avait été établi (Art.2, R.D. du 13 Mars 1860) à la Scuola Militare di Cavalleria de Pinerolo, cours "in cui sarà compartita l'istruzione necessaria a quei giovani che desiderano abilitarsi ad occupare i posti di Sottotenente, vacanti nell'Arma di Cavalleria, che per legge non siano riservati ai sotto uffiziali".

Anat-Hagy ne figurera plus à l'Annuario de 1866.

Curiosité, la "Biblioteca del Conservatorio di musica Giuseppe Verdi" conserve la partition d'une pièce musicale appelée "Emilie : pensee affectueuse en forme de mazurka de salon pour piano", publiée en 1861 et dédicacée par son auteur, Giulio Ricordi, avec la mention suivante :
"A mon cher ami Arthur Anat Hagy"
(en Français dans le texte)
.


La présence concommittante de Brandolini et Cingia, ainsi que l'aspect négligé des tenues nous laisse à penser que la photo est contemporaine de cette campagne contre le Brigantaggio.
La date de promotion de Anat Hagy permet de circonscrire la date de la photographie, postérieure au 24 Juin 1863.
Cingia étant un ancien sous-officier (on l'imagine donc plus âgé), et Anat-Hagy sortant de l'école, il est possible que ce dernier figure à droite de la photographie.


- Merci à Francesco Simoncini et Gianluigi Parpani -